Des trottoirs recouverts de poubelles débordantes, une végétalisation moquée, la Seine souillée par les détritus, des travaux à chaque coin de rue et des corona pistes installées avec du mobilier de travaux. Depuis quelques semaines, la communication politique de l’exécutif parisien combat cette image de la capitale qui se diffuse sur les réseaux sociaux.
Cette dénonciation de l’état des rues de Paris n’a cessé de croître, avec le désormais célèbre hashtag #SaccageParis. Une diffusion de photos et vidéos qui fait suite à un mouvement initié par le compte Twitter @PanamePropre ; appartenant à un Parisien anonyme qui a déclaré n’appartenir à aucun parti politique.
Ce mouvement comptabilise, en date du 28 avril, plus de 102.8K de publications cette semaine. Il a même dépassé les frontières nationales : environ 10 % des publications sont étrangères. Celles-ci ont fait le tour du monde en étant reprises par des médias étrangers ; britanniques ou encore australiens.
Si #SaccageParis soulève la question de la propreté qui contribue à l’enlaidissement ressenti et dénoncé des citoyens, il fait écho à d’autres problèmes. L’équipe de Coriolink revient sur le récit de cette polémique, pointe du doigt ses enjeux et les acteurs qui ont su tirer leur épingle du jeu.
Les réseaux sociaux, à l’origine d’une crise de communication et politique
« Tous unis pour rendre Paris plus propre ! », c’est le défi que tente de relever les citoyens. Pour cela, ils n’hésitent pas à pointer du doigt les lieux sales de la ville de Paris avec #SaccageParis. Ils relancent le débat de la propreté des rues ; et accusent les dirigeants d’avoir défiguré le paysage de la capitale. Sur la plateforme, les citoyens partagent leur perception de la ville, et constatent que les abandons sur la voie publique ne cessent de se multiplier.
Toutefois, ce mal-être parisien ne réside pas uniquement dans un problème de propreté. Les publications ne dénoncent pas seulement un enlaidissement urbain, mais une négligence territoriale. La gestion du patrimoine et du paysage par les pouvoirs publics indigne les citoyens. À travers leurs publications, les citoyens critiquent, au-delà de la propreté, la politique d’aménagement de la ville.
Une stratégie de dédouanement de l’exécutif parisien qui n’a fait que mettre de l’huile sur le feu
Face à cette colère citoyenne, la mairie de Paris a reconnu que la propreté n’était pas au rendez-vous à Paris. Anne Hidalgo a d’ailleurs ajouté que le problème ne date pas d’aujourd’hui : « Je n’ai pas connu une seule campagne municipale à Paris depuis 20 ans qui ne se soit pas faite sur le problème de la propreté« .
Mais l’élue socialiste a également rappelé que Paris n’a jamais été aussi belle, selon elle, depuis que la gauche la dirige. Sous-entendant ainsi que tout ce qui pouvait être fait pour corriger la situation du côté des pouvoirs publics avait été exécuté. Ainsi, si le problème persiste, ils n’en sont pas responsables.
La municipalité semble faire diversion en dirigeant la polémique vers d’autres débats. L’équipe d’Anne Hidalgo s’est totalement dédouané de la situation. Elle s’est félicitée des bienfaits apportés à la ville depuis son élection, mais s’est totalement détachée des polémiques actuelles. La municipalité n’a d’ailleurs pas hésité à désigner d’autres coupables.
Politisation de l’affaire : accuser la droite et soutenir la théorie du complot
Aussitôt la polémique ouverte, les élus ont nié le mouvement citoyen. Ils ont dénoncé une stratégie politique de l’extrême droite, un complot visant à dénigrer les élus de gauche. Pour appuyer ses dires, Anne Hidalgo a demandé une enquête sur les publications du #saccageparis. Celle-ci en a conclu que les premiers comptes à relayer #saccageparis, se rattachaient à des idéologies politiques de droite.
La maire de Paris a même dénoncé une stratégie d’astroturfing mise en place ; une forme de communication politique tournant à la propagande. Un hashtag qui devient un sujet média, a la capacité de devenir un outil publicitaire pour les acteurs qui l’utilisent.
« Quand on remonte (les publications sur l’hashtag) on tombe sur Pierre Liscia, qui fait la promotion de son livre et qui a d’ailleurs été candidat pour Valérie Pécresse aux dernières municipales » – Anne Hidalgo.
Ici, elle le pointe du doigt comme le leader d’un faux mouvement citoyen qu’il aurait monté de toute pièce pour gagner en visibilité.
Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo, a d’ailleurs soutenu cette théorie en dénonçant un travestissement de la réalité. Il s’agirait, selon lui, d’une manipulation visant à salir l’image du parti socialiste, et plus particulièrement d’Anne Hidalgo.
Stratégie de diversion : orienter la polémique vers un autre débat
Ils ne sont pas les seuls à pointer du doigt les problèmes politiques liés à la polémique. Jean-Louis Missika, ancien adjoint à l’urbanisme de la mairie de Paris, partage sa position sur la polémique avec Terra Nova, le Think Thank progressiste. Reconnaissant l’évident problème de propreté dans la ville de Paris, il tourne malgré tout le débat vers d’autres éléments semblant être à l’origine des problèmes urbains parisiens. D’un côté, la distribution bancale des compétences politiques. Et de l’autre, le manque de compréhension des citoyens envers le système de centralisation des pouvoirs. En effet, un problème local est lié à une mauvaise gestion municipale pour une majorité de citoyens. Mais dans les faits, ils sont traités à échelle nationale.
Si le constat posé semble juste, et la volonté de dépasser l’indignation pertinente, là encore le problème reste circonscrit à la propreté et à la sécurité. Jean-Louis Missika dans sa note, n’évoque jamais les compétences d’aménagement urbain.
La stratégie de défense de la ville qui a consisté à chercher des boucs émissaires, à contribuer à donner l’impression aux citoyens indignés que la mairie ne cherchait pas de réelles solutions et se contentait de se dédouaner.
Tuer l’hashtag : la ville signale une campagne de désinformation
Ainsi, la mairie a réagi directement à la source en répondant aux publications des internautes. Sur Twitter, la ville a d’abord dénoncé un faux procès car certaines des photos diffusées ne correspondaient pas au “Paris actuel”. En soulignant que « certaines photos postées sont anciennes ou prises avant le passage des équipes de la propreté ».
Dans un second temps, le compte de la capitale @Paris, a tenté de contre-attaquer le #saccageparis via le slogan « Paris, c’est aussi ça », montrant la ville de Paris sous son meilleur jour.
Certains internautes ont qualifié la publication de « carte postale » non représentative de la ville. Allant même jusqu’à dire qu’il s’agissait d’une piètre communication politique et d’une propagande trompeuse. D’autres réponses ont avant tout souligné le déni total de la ville qui nierait son insalubrité.
Le discours de victimisation des élus : dénoncer l’incivilité des habitants
Après avoir pointé du doigt les opposants politiques, la mairie s’est appuyée sur la période de crise pour justifier l’état des rues. Les agents de propreté sont actuellement réduits de 10 % pour des raisons sanitaires évidentes. Bien que « 2 500 agents interviennent tous les jours » et « dans tout Paris », les rues peinent à être rapidement nettoyées.
La droite et la situation de crise n’ont pas été les seuls boucs émissaires des pouvoirs publics. Ils n’ont pas hésité à désigner les Parisiens comme premiers responsables. « Comme toutes les villes de France, Paris est confrontée à des incivilités et à des problèmes de régulation de l’espace public ». Une pirouette déjà utilisée par Anne Hidalgo à la suite de la publication par le Guardian d’un article fustigeant le manque de propreté de la capitale.
C’est d’ailleurs à l’occasion du conseil de Paris, le 13 avril 2021, que Patrick Bloche, actuel maire adjoint de la mairie de Paris, est revenu sur la polémique. Il a qualifié l’hashtag #Saccageparis comme « vraiment très insultant, presque injuriant » et « désagréable » pour les élus ; optant de cette façon pour une posture victimaire donnant l’impression d’un acharnement envers la municipalité.
Une crise irrésolue dû à une mauvaise évaluation des critiques
Après de telles critiques, la mairie s’est engagée auprès de sa population afin de résoudre le problème de propreté. Au conseil de Paris, le 14 avril dernier, Emmanuel Grégoire s’est engagé à présenter en juin une réforme de « territorialisation et de décentralisation à la faveur des maires d’arrondissement« .
Le constat est tel que la mairie de Paris n’a pas pris pleinement le problème en considération. Même Jean-Louis Missika qui n’est plus un acteur actif de la municipalité depuis l’été 2020 passe à côté du cœur de la polémique : un problème d’aménagement urbain.
En réduisant les plaintes à un problème de propreté, les élus ont mal évalué la situation. Ils ont ainsi laissé la crise s’aggraver et perpétuée dans le temps, sans y apporter une véritable solution. De plus, en restant concentré sur la propreté, Anne Hidalgo n’a pas profité de cette attaque pour défendre sa volonté de transformer Paris. Une transformation qui nécessite, on peut le regretter mais c’est inévitable, de réaliser de nouveaux travaux.
Une communication politique qui creuse un fossé entre les citoyens et leurs élus
La polémique parisienne relève de plus de complexité qu’il y paraît.
Il n’est pas seulement question de la mise en place de dispositifs de propreté ou d’auto-régulation, mais d’écoute. Le mouvement témoigne d’une conception bien particulière de l’adhésion et du choisir ensemble, où les principaux intéressés ne sont pas inclus dans le débat et la prise de décision.
La polémique atteste d’un dialogue de sourd où le véritable problème ne peut être résolu dans la mesure où il n’est ni entendu, ni reconnu. C’est une stratégie de rapport de force qui s’illustre entre les Parisiens et l’exécutif parisien.
Néanmoins, Anne Hidalgo dirige la mairie de Paris depuis 2014, elle a même été réélue et doit en partie son second mandat grâce à son alliance verte. Quelle a été la bascule pour qu’un tel hashtag apparaisse un an après son élection ?
#SaccageParis soulève des défis de communication politique
Derrière cet hashtag, comme mentionné plus haut, ne semble se cacher aucun parti politique. Uniquement un Parisien demandant des comptes aux pouvoirs publics, dont l’agacement est partagé par d’autres Parisiens.
Fabrice Epelboin, spécialiste des médias sociaux, a d’ailleurs défini ce mouvement comme « des gens qui vivent à Paris, très politisés et pas du tout en accord avec la politique d’Anne Hidalgo qui se sont coordonnées pour en parler ». Pour cet expert ce mouvement ressemble davantage à une « manifestation en ligne » et revêt un aspect purement citoyen.
Comment Twitter s’est transformé en lieu d’affrontement politique ?
Ce qui n’a pas empêché certaines personnalités politiques ; la mairie de la Paris et ses opposants politiques ; d’instrumentaliser ce mouvement pour en tirer profit, en s’en servant comme outil de communication politique. Actions probablement encouragées par l’approche des prochaines élections présidentielles qui doivent se tenir à l’été 2022.
D’un côté, Anne Hidalgo a tenté tant bien que de noyer le poisson et de prouver qu’il s’agissait d’un complot politique. Mais elle est peut-être plus embarrassée pour son image qu’elle ne le laisse paraître. A défaut de les avoir confirmées, elle n’a jamais démenti les rumeurs qui courent sur une candidature aux élections de l’Elysée.
D’un autre côté, la polémique à été une forme de « récupération politique » pour les autres partis ; l’occasion de donner raison aux citoyens et de critiquer ouvertement la politique d’Anne Hidalgo. Notamment sur son affaiblissement politique au regard de ces dernières actions politiques qui ont été mal perçu par une majorité de Parisiens comme la taxation des terrasses.
Les opposants politiques s’attaquent aux élus et répondent aux besoins des citoyens
Au demeurant, les attaques ne se limitent pas aux réseaux sociaux. Dans le cadre du Conseil de Paris du 13 avril, Rachida Dati a interpellé la maire sur la propreté : « Revenez à Paris Madame Hidalgo ! ». La droite est même allée jusqu’à demander, au sein d’un communiqué de presse à l’organisation au Conseil de Paris « une séance exceptionnelle consacrée à la propreté, à la salubrité de l’espace public ».
Communication politique et véritable adhésion au mouvement, ces passes d’armes laissent le sentiment aux citoyens parisiens que l’écoute n’est pas du côté de la mairie centrale. Ici, la stratégie de défense déployée par la mairie de Paris n’a permis aucun dialogue ; seule approche possible à une sortie de crise.