Notre blog

Crise Lubrizol : Crise de communication

Communication de crise

 

Confiance et politique n’ont pas fait la paire au moment de la catastrophe Lubrizol. Le rapport pouvoirs publics– citoyen a témoigné d’une importante fracture et d’une crise de communication.

 

Entre silence, prises de parole superflues et confusion, la communication de crise des autorités n’a pas eu l’effet espéré. Ceux qui voulaient créer un rapport de proximité, ont en réalité altéré leur relation de confiance avec les citoyens. Passant de la panique à l’indignation, les citoyens ont exprimé et revendiqué leur besoin de transparence. 

 

L’équipe de Coriolink vous invite à revenir sur l’affaire Lubrizol à travers une série d’articles.

Retrouvez sur notre blog le premier article portant sur la journée du 26 septembre 2019, et le deuxième abordant la communication déployée du gouvernement.

 

 

 

Cause : de la confusion dans la communication

 

Le principe de base : alerte, renseignement, maintien de l’ordre et secours, a été respecté à la lettre. D’un point de vue théorique, la crise Lubrizol a ainsi été parfaitement administrée.

 

« Cependant, la réussite technique s’est transformée en catastrophe de communication de crise. » – Jacky Isabello

 

Au sein de cette affaire, les différents discours énoncés n’ont pas, pour la majorité, contribué à rassurer la population. Les propos jugés incomplets, répétitifs et contrastés émis par les pouvoirs publics à l’encontre du grand public ont causé cette crise de confiance.

 

 

Messages factuels

 

Occuper l’espace médiatique afin de signaler au grand public que la crise est sous contrôle est positif. Cependant, il faut veiller à ne pas intervenir sans intérêt. Ce fut le cas durant la gestion de la crise Lubrizol. Lorsque Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique à l’époque, déclare sur RTL que « la liste des produits présents dans l’usine sont publics et sur le site de l’entreprise », elle n’apporte rien et ne fait que surmédiatiser la crise en laissant la population sans réponse. Que fait un citoyen inquiet d’une telle information ?

 

De même que Pierre-André Durand, préfet de Seine-Maritime durant cette crise, qui annonce en conférence de presse que « Les odeurs sont anxiogènes. Elles ne sont pas nocives, mais elles peuvent être incommodantes ». L’information-même provient des habitants, les autorités ne leur apprennent rien, et pire, ils donnent l’impression qu’ils n’en savent pas plus que les citoyens.

 

 

Minimiser l’évènement

 

Minimiser la situation, et par la même l’inquiétude de la population, n’appelle pas au calme. Au contraire, cela sème le doute et accroît la crainte des citoyens. Quand Yvon Robert, président de la Métropole Rouen Normandie à lors de l’accident, prend la parole sur RMC pour faire savoir qu’ « Il n’y a pas de danger grave et imminent » car aucun mort n’a été décompté, il ne fait que décrédibiliser son intervention. Il laisse ainsi entendre que la situation ne se résout pas car elle n’est pas prise en considération.

 

Il creuse un fossé entre les citoyens et les personnalités politiques qui semblent à des années lumières de la réalité qu’endure le territoire. Par ailleurs, minorer l’événement revient à sous-évaluer l’anxiété collective, délaissant ainsi la population en lui donnant l’impression qu’elle n’a pas à s’impliquer dans la crise voire que son inquiétude est irrationnelle.  La minimisation de la gravité de la situation a fait que les habitants ne se sont pas sentis écoutés et représentés, pouvant ainsi donner lieu à une crise de la représentation.

 

 

Langage inaccessible

 

En période de crise, il est impératif de veiller à ce que les discours soient compréhensifs et accessibles à tous. Avoir recours à un langage professionnel, ou trop technique, propage le trouble dans l’esprit des populations et, encore une fois, n’apporte aucune réponse à leurs interrogations. C’est l’impact qu’a eu Pierre-André Durand à travers certains de ses communiqués et conférences de presse. Quand il déclare : « qualité de l’air habituelle mais présence de benzène et de plomb au niveau de l’usine. » ou encore « Les galets de suie, ils sont de même nature que les galets de goudron ». Il ne rassure pas sa cible et donne l’impression de réciter un compte-rendu que lui-même ne saurait expliquer.

 

 

Propos contradictoires

 

Le doute sur la transparence des autorités et la véracité des informations transmises naissent avant tout des contradictions présentes dans les discours et déclarations de ces derniers. Entre une tonalité rassurante et de forte mesure mise en place, saisir la gravité du danger présent n’est pas évident pour les citoyens. Lorsque le gouvernement déclare que la qualité de l’air est bonne mais que la population constate que les policiers portent des masques à gaz, des interrogations se posent face à ce paradoxe.

 

L’exemple le plus significatif provient du ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. Le jour J, il déclare sur RTL 1 « Ne paniquons pas, mais il faut être d’une grande prudence » ou encore « Nous n’avons pas d’éléments qui permettent de penser que les fumées seraient dangereuses mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de danger ».

 

La crise de confiance et la crise de communication s’aggravent à chaque déclaration puisqu’elles présentent des lacunes informatives. La différence de perception entre les membres du gouvernement et les citoyens est évidente : les habitants demandent plus de transparence et d’informations claires, tandis que les autorités publiques pensent avoir été efficaces dans leurs déclarations.

 

C’est de ce sentiment d’abandon, de négligence, d’anxiété collective qu’est née une crise de confiance entre les deux parties. Témoignant de ce fait qu’un manque de confiance dans la parole politique s’installe.

 

 

Basculement : du problème sanitaire au problème psychologique

 

Face à l’inquiétude grandissante de la population au regard de la mauvaise gestion de la crise, c’est finalement le premier octobre que de nouvelles mesures sont mises en place. Aux dernières mesures sanitaires, s’accompagne la mise en place de cellule de soutien psychologique par l’ARS. Cet accueil est « ouvert aux personnes qui le souhaitent pour faire face à leurs inquiétudes et à leur stress à la suite de l’événement ».

 

C’est ici qu’une crise de cas majeurs aux nombreux impacts environnementaux et sanitaires se transforme en un problème de santé publique et tout particulièrement psychologique. La communication des autorités responsables s’est tendue vers un dédouanement total de leur responsabilité en rejetant le ressenti des habitants sur un problème psychologique. Si l’air est dérangeant, c’est avant tout psychologique, c’est une conséquence liée aux stress post-traumatique. Les inquiétudes des habitants ne sont pas prises au sérieux.’ Chaque action est allée à l’encontre de la volonté de rassurer

 

On voit ici l’évolution : un accident industriel devient une simple question d’odeurs « incommodantes » puis un problème psychologique car « La psychologie joue un rôle important dans ce type de stress. ».

 

C’est de ce basculement qu’est né une crise confiance dû à une crise de communication.

 

 

Conséquences : crise, opposition et besoin de vérité

 

Exprimant un besoin de vérité intense et étouffant, la population s’est rapidement mobilisée. Le 12 octobre 2019, à Rouen, une manifestation en ce sens s’est déroulée. Elle a regroupé un peu plus d’un millier de manifestants qui se sont battus pour connaître la vérité sur les causes et surtout les conséquences de l’incendie de l’usine. Défilant dans les rues en déclamant à plein poumon « Lubrizol coupable, État complice », « On veut la vérité, Lubrizol doit payer ! » ou encore « Nos gamins en danger, le préfet doit payer ».

 

Les manifestations se sont renouvelées et poursuivies. Comme en témoigne la manifestation du mardi 26 novembre 2019, celle, à la date anniversaire de l’incendie, du 25 septembre 2020. Ou encore très récemment la manifestation du 27 mars 2021, soit un an et demi après l’incendie du site.

 

Les citoyens ont également envoyé, le 24 mars 2021, une lettre ouverte aux collectivités locales dans laquelle ils demandent de « véritables enquêtes de santé ».

 

La population ne décolère toujours pas et se mobilise pour faire pression sur l’État et sur l’industriel, toujours dans l’objectif de comprendre ce qu’il s’est passé et le véritable impact de l’explosion sur l’environnement et la santé. La crise de communication fait encore écho aujourd’hui.

 

 

Que faut-il retenir de cette crise ?

 

Cette expérience a témoigné du fait qu’il était nécessaire d’impliquer l’ensemble des parties prenantes au sein d’une gestion des risques. Et que se suffire à un cercle restreint pouvait donner jour à une crise de confiance.

 

Aujourd’hui, l’enjeu pour le gouvernement est de comprendre comment regagner la confiance des citoyens après une telle crise. L’État a pris note de cette période et des conséquences de la gestion de crise appliqué. Il a démontré sa volonté de redessiner la gestion de crise après l’échec Lubrizol à travers plusieurs propositions.

 

L’équipe de Coriolink vous en parle dans le prochain article « La crise Lubrizol – Les conseils de l’agence ».